Une petite appendicite… par le Pr Christine GRAPIN-DAGORNO

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18 octobre 2024

L’idée prévaut, reconnue par les textes actuels, que certaines urgences « simples » de l’enfant peuvent, sans inconvénient, être opérées par des chirurgiens d’adultes, à partir de 3 ans.

Dans cette conception, l’intervention est supposée se réduire à un acte chirurgical technique accessible à tous : dans le cas de l’appendicectomie, section de l’appendice après ligature de sa base et du méso. La plus grande partie de la prise en charge est occultée, à savoir le diagnostic, parfois difficile chez le petit enfant, les examens radiologiques, leur indication, leur réalisation, leur interprétation, l’indication opératoire, son moment, le choix de la technique (laparotomie, laparoscopie), les traitements médicaux (antalgiques, antibiotiques…), la conduite de l’anesthésie, l’information des parents, la surveillance des suites opératoires, le diagnostic d’une complication, le traitement de la complication, l’explication de la complication aux parents, la décision du retour à domicile, le traitement après la sortie, la surveillance ultérieure.

Tout ce qui entoure l’opération fait partie intégrante de la prise en charge chirurgicale, profondément différente chez l’enfant, et en modifie les suites.
Une « petite appendicite » chez un enfant de trois ans et demi n’est pas identique à celle d’un adulte de 45 ans.

Le cas décrit ici est la retranscription fidèle d’une expertise conduite chez une enfant de 15 ans, opérée à trois ans et demi de ce qui a été considéré comme une pathologie simple, par une équipe de chirurgiens d’adultes. Les difficultés rencontrées ne sont pas en rapport avec un défaut de compétence chirurgicale, mais avec un défaut d’expérience en pédiatrie chirurgicale de la part de toute l’équipe. La lecture des faits révèle une mauvaise prise en charge globale, avec une succession de complications conduisant à des séquelles qui auraient pu être évitées par une meilleure organisation régionale des soins.

LE DETAIL

« N’importe quel chirurgien peut opérer une petite appendicite de l’enfant »

24 décembre (Centre Hospitalier Général)
Fillette, 3 ans et demi, sans antécédents, vient aux urgences pour une « rhinopharyngite » avec 40° de fièvre, toux, douleurs abdominales et mictionnelles. A eu de l’Augmentin.
« Hyperthermie depuis 8 jours, 39°6 ce matin, douleurs abdominales depuis 2 jours. A vu le docteur hier matin, mise sous antibiotiques. »
Poids : 15,6 kg. Température : 38,4° à 11h09.

Interne urgences :
Fièvre depuis 8 jours. Rhinopharyngite virale. Douleurs au niveau pelvien depuis hier, par crises. Poids : 16,2 kg. Examen normal. Fièvre : 39°, abdomen souple et indolore, pas de masse palpable, pas de troubles du transit. Globules blancs : 18 650 (74,7 % de PN), CRP : 179.
Traitement aux urgences : Rocéphine 800 mg en IV (1ère injection faite aux urgences).

Radio de thorax : Syndrome interstitiel péri-hilaire bilatéral, absence de foyer.
Infirmière : « A été à la radio qui montre une pneumopathie. »

Échographie abdominale :
Indication : rechercher un foyer profond (abcès ?). Pas d’épanchement péritonéal. Probable abcès de 2 cm au contact de la pointe appendiculaire. Appendicite aiguë abcédée de siège pelvien avec épaississement de la paroi vésicale au contact.
Conclusion des urgences : appendicite aiguë abcédée.

Interne de chirurgie :
« Le chirurgien viscéral passera voir la patiente dans le service. Bloc prévu ce soir. »
Bio : Demain (BS, VS, CRP, sérologie virale, BH, enzymes cardiaques, hémocultures, ECBU).

L’intervention programmée pour le soir même (24 décembre) est reportée au lendemain matin, sans explication, alors que le chirurgien avait dit au père qu’il l’opérerait dans la soirée (24 décembre).
Infirmière : « A été vue par le chirurgien (interne). Elle sera opérée demain matin. »

Nuit du 24 au 25 décembre :
« 39°2 à 2h40 cette nuit. »

25 décembre :
Appendicectomie par laparotomie.
Indication : « Tableau clinique et échographique de péritonite appendiculaire localisée. »
Incision de McBurney horizontalisée. L’appendice est englué par le grand épiploon et au contact de la vessie. Clivage soigneux à la main de cet appendice des viscères adjacents, extériorisation du bas-fond caecal et de la jonction appendico-caecale. L’appendice est, comme l’avait montré l’examen échographique, pathologique au niveau de son tiers distal, hypertrophié et porteur de fausses membranes. Ligature du méso-appendiculaire puis de la base appendiculaire. Appendicectomie. Lavage. Fermeture. Eau oxygénée sur la paroi. Fermeture avec points de Blair-Donati.
Anatomopathologie : Appendicite aiguë stercorale perforée avec péri-appendicite.

26 décembre :
Pédiatre : Apyrétique, ventre souple, pas de gaz ni transit, pas de vomissements.
Chirurgien : Reprise alimentaire possible, arrêt des perfusions, relais antibiotiques per os.

27 décembre :
Reprise alimentaire. RAS, apyrétique, pas de défense péri-cicatricielle. Gaz +, bruits hydroaériques +, mais pas de selles. Sous Augmentin per os (J2).

Nuit du 27 au 28 décembre :
Infirmière : Pleure beaucoup, douleurs intenses. Parents présents. Doliprane per os.

28 décembre :
Pédiatre : Sortie ce jour. Brûlures mictionnelles, mais BU négative. Arrêt de l’Augmentin. Rendez-vous avec le chirurgien dans un mois. Débridat, Doliprane en cas de douleurs ou de fièvre.
Aucun chirurgien ne revoit la fillette avant sa sortie de l’hôpital.

Voici le texte corrigé avec les fautes ajustées et la ponctuation ajoutée :


28 décembre : Douleurs importantes à domicile.

29 décembre : Urgences CH, 38°. Observation ? Retour à domicile.

1er janvier : Douleurs abdominales fébriles, syndrome infectieux. Réhospitalisation.
Interne de pédiatrie : 38°7, abdomen souple, dépressible, mais très sensible, cicatrice propre, peau périphérique saine. Enfant difficilement examinable. Abdomen douloureux dans son ensemble à la palpation.
Échographie : Infiltration du grand épiploon, doute sur une collection. GB : 27 350, plaquettes : 650 000, CRP : 27. A jeun, Perfalgan, Spasfon, Tazocilline 1,6 x 3. Refaire écho demain.

2 janvier :
Pédiatre : Crises douloureuses à chaque miction et besoin d’aller à la selle. Abdomen sensible dans son ensemble avec discrète défense en fosse iliaque droite. Bilan sanguin après 48 h d’ATB.
Échographie : Abcès intra-abdominal de 35 à 40 mm, dans le Douglas.
Chirurgien : Va voir le radiologue (mais pas l’enfant).

Nuit 3 – 4 janvier :
Interne de chirurgie : Algique +++ : pleurs +++, position en chien de fusil, pâleur. CRP à 100, hyperleucocytose à 24 000. « Abdomen souple, pas de défense, pas de contracture, douleur à la palpation de la FID et à la percussion. Pas de vomissements, pas de selles. »
Chirurgien : « Pas d’indication opératoire en urgence. »
Interne : « Pas d’écho ce jour, bio demain, pas d’examen clinique. Poursuite des ATB, passage du chirurgien demain, écho demain ou dimanche. »

4 janvier : Réintervention car absence de modification de l’abcès.
« Fièvre, douleurs mictionnelles, 27 500 leucocytes, CRP : 111, collection du Douglas de 35 mm de diamètre. »
Intervention : Reprise de l’incision de Mac Burney, mise à plat, lavage, drainage, Tazocilline.

5 janvier :
Pédiatre : Très douloureuse, début de morphine, globe vésical, sondage.

6 janvier :
Pics à 39°, troubles mictionnels, leucos : 24 500, plaquettes : 508 000, CRP : 285.
Chirurgien : « Situation stable, reprise de l’alimentation, écho demain. »

6 – 7 janvier : Douleurs +++, vomissements.
Infirmière : 4h30 : Toujours douloureuse, hurle +++.
Interne de chirurgie : « Le chef n’a pas voulu se déplacer, vu qu’elle a une écho ce jour. »
Interne de pédiatrie appelle l’interne de chirurgie qui appelle le senior de chirurgie (qui ne vient pas) : « Pas de prise en charge cette nuit, réévaluer demain matin, reprise au bloc. »

Chirurgien : 8h56 : « Probable occlusion post-opératoire. » Salem, bilan bio. Si aggravation : TDM.
17h12 : 22 900 blancs, CRP : 315. « Pas de scanner ce jour, compte tenu de la stabilité du bilan sanguin et absence de fièvre ce jour. Récupérer antibiogramme demain. »
17h57 : Douleurs abdominales +++ non soulagées par PCA Morphine, Spasfon et Perfalgan. Abdomen non dépressible, météorisé. Vu par le chirurgien ce matin : SNG, suspicion d’occlusion. CRP : 350, GB : 22 000, PCT : 4,47.
Chirurgien (pas le même) : TDM abdo immédiat, sédation par Hypnovel.
Scanner : « Vaste plage liquidienne inter-anses située au contact du côlon droit, mesurant dans le plan axial 6,9 x 3,1 cm. Il existe également vraisemblablement une collection partiellement aérée située au contact du dôme vésical, mesurant 3,4 x 2,7 cm. »
Chirurgien (pas le même) : Transfert immédiat en chirurgie pédiatrique.

TRANSFERT AU CHU

CRO du 7 janvier : « Tableau fébrile, occlusion, CRP : 300, 20 000 blancs. Indication de laparotomie médiane à cheval sur l’ombilic. Anses dilatées dans leur ensemble. Il existe trois brides de grand épiploon bloquant le tube digestif en fosse iliaque droite, qui seront réséquées. »
Laparotomie médiane, viscérolyse, libération des brides et d’une hernie interne. Tri-antibiothérapie par Forom, Vancomycine et Métronidazole.

Après cette réintervention, l’amélioration clinique est rapide : apyrexie dès le lendemain de l’intervention, bonne diurèse. Diminution du syndrome inflammatoire. Absence d’épanchement pleural. Reprise du transit le 11/01 et reprise de l’alimentation. Sortie le 14 janvier.

Dans les années qui ont suivi : Aucun événement particulier n’est à noter. F… a suivi une scolarité normale.


EXPERTISE LE 30 FÉVRIER 2021

Actuellement : 15 ans
Douleurs abdominales chroniques et invalidantes.
Suivie par un gastro-entérologue, suivi psychologique.

Examen clinique :
Excellent état général, pas de retard scolaire. 1m68, 58 kg. F…
Se plaint d’anxiété, notamment lors des examens médicaux.
Abdomen porteur de multiples cicatrices solides, sans éventration, mais inesthétiques +++ :

  • Cicatrice de la fosse iliaque droite, oblique, mesurant 7,5 cm de long sur 1 cm de large, chéloïde, avec échelons (fermeture par points séparés).
  • Cicatrice médiane sus- et sous-ombilicale, mesurant 8 cm de long sur 1 cm de large, chéloïde, avec échelons (fermeture par points séparés).
  • Cicatrice située au-dessus de l’aile iliaque antéro-supérieure, mesurant 1 cm, fine, correspondant au drain.
    Elle est très complexée par ses cicatrices (maillot de bain…).
    Cette anxiété favorise les douleurs abdominales chroniques, secondaires aux complications post-opératoires. Ces douleurs surviennent par crises, calmées en quelques heures, sans troubles du transit. Elles ne s’accompagnent pas de vomissements. F… et son papa disent que ces douleurs abdominales ont limité, puis empêché certaines activités sportives, notamment la danse : douleurs survenant lors de l’effort.

DISCUSSION MÉDICO-LÉGALE
Plusieurs éléments sont à discuter, afin de répondre aux questions de la mission :

  • Imputabilité : Les troubles constatés actuellement sont-ils en rapport avec le dommage allégué ?
  • Consolidation : Les troubles constatés actuellement sont-ils stables ?

Qualité de la prise en charge : Sont discutés :

  • Le mode d’hospitalisation (enfant de 3 ans et demi).
  • Le retard initial de traitement.
  • L’intervention réalisée par laparotomie et non par laparoscopie.
  • Le traitement post-opératoire (nature de l’antibiotique, durée).
  • La première sortie d’hospitalisation.
  • La prise en charge de l’abcès du Douglas.

CONSOLIDATION
La date proposée est le 14 janvier 2024, soit 10 ans après les faits.


IMPUTABILITÉ
Les douleurs abdominales chroniques sont en rapport certain avec l’appendicectomie de 2013.
Ces douleurs sont certaines et concordantes (les reprises de laparotomie de la fosse iliaque droite, dite de Mac Burney, et la laparotomie médiane ont pu entraîner des brides et adhérences multiples). Ces douleurs sont apparues dans les suites immédiates de ces interventions.
Elles ont été favorisées par l’importance et la durée des douleurs subies en attente du traitement de l’abcès du Douglas, par l’importance du délabrement pariétal et par l’anxiété de l’enfant.
Les douleurs post-opératoires chroniques sont fréquentes : 20 % des cas. Il existe une corrélation entre la longueur de la cicatrice, les douleurs majorées par l’importance des douleurs pré- et péri-opératoires, et l’angoisse parentale.
Dans le cas présent, on note l’importance des douleurs peu ou mal calmées par la morphine lors de l’abcès du Douglas, ainsi que la durée d’attente (3 jours) avant le traitement.


CONCLUSION

Les enfants de trois ans et demi doivent être pris en charge en milieu chirurgical pédiatrique.


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Art. R. 6123-202 CSP : Le titulaire de l’autorisation de chirurgie adulte peut également prendre en charge les enfants de plus de trois ans pour les urgences courantes viscérales pédiatriques et orthopédiques pédiatriques (appendicite aigüe, torsion testiculaire, fracture simple, etc.), sous réserve de respecter des conditions spécifiques de formation et de participer au dispositif spécifique régional (DSR) pédiatrique.

Code de déontologie Article R.4127-70 : « Tout médecin est, en principe, habilité à pratiquer tous les actes de diagnostic, de prévention et de traitement. Mais il ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose ».

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